par Khaled SATOUR
Tout est parti de la lettre
adressée par El Hadi Chalabi au président de la LADDH,
Hocine Zehouane1,
dans laquelle il livrait, sans complaisance, ses observations
sur les conditions qui ont présidé à la tenue
du congrès de la ligue en septembre 2005 et sur laction
et les déclarations de son président depuis lors.
Y étaient analysées les informations relatives à
la prise en main autoritaire de la présidence du congrès,
mais aussi la préférence accordée par la ligue
aux cérémonies et à lapparat au détriment
de la mobilisation contre loubli des violations massives des
droits de lhomme, et le rapprochement avec les milieux (auto-)
qualifiés de « démocrates »
et leurs appareils. Y étaient également soulevés
des questionnements cruciaux qui, par delà le présent
et lavenir de la ligue, concernent les formes dallégeance
au pouvoir algérien, qui a perfectionné ses dispositifs
de contrôle total de la société, pourvoyant à
toutes les fonctions constitutives de lespace dexpression,
y compris à celles qui font office d « opposition ».
Ainsi El Hadi Chalabi écrivait-il : « Dans
les moments de vérité, on voit clairement que cette
prétendue opposition na de force, perspective ou sens
politique que dans le prolongement des appels aux protecteurs disséminés
à travers létat-major et les régions militaires.
(
) Les mises en scène dans ce qui se construit comme
opposition pour mieux fixer, plus ou moins faussement, la bataille
en direction dun pouvoir nommé, ont été
suffisamment nombreuses et astucieuses (
) pour ne pas se donner
un autre rôle ». Et dajouter à lintention
de H. Zehouane : « La LADDH aurait gagné,
avec toi, à mieux définir un tel rôle, dans un
positionnement en dehors des lectures médiatiques ».
Quelle que soit lanalyse personnelle que chacun peut en faire,
cest un problème qui nous intéresse au plus haut
point, celui du pouvoir et de la résistance au pouvoir, qui
était abordé. On peut certes le poser théoriquement
de diverses manières : Superstructures politiques dans
un tout structuré enfermant les hommes dans son déterminisme,
hégémonie au sens de Gramsci, c'est-à-dire relation
fondée sur le consentement autant que sur la force ou encore
domination appuyée sur lidéologie. Les variantes
ne manquent pas. On peut ensuite y adjoindre la problématique
volontariste de la responsabilité individuelle et de lopportunité
de la mettre en cause. Mais la question du rapport au pouvoir était
dabord posée à un niveau pratique :
où en est la LADDH par rapport au pouvoir en Algérie
aujourdhui ? Le questionnement de Chalabi le conduisait
à une réponse, tirée dun constat documenté,
suggérant que la ligue rejoignait les acteurs attraits dans
le champ de contrôle du pouvoir. Je comprenais par là,
pour ma part, quelle cédait au pouvoir au sens concret
que lui donne Michel Foucault : « Un mode daction
qui nagit pas directement et immédiatement sur les autres,
mais qui agit sur leur action propre. Une action sur laction,
sur des actions éventuelles ou actuelles, futures et présentes ».
Et comme El Hadi Chalabi a dénombré les actions du président
de la LADDH qui révélaient une telle emprise, sa contribution
appelait à la discussion, peut-être même à
la vive controverse à tout prendre préférable
aux silences pesants des consensus, sûrement pas au dénigrement
vindicatif.
Mais le texte était à peine publié que tout fut
entrepris pour que le débat quil sollicitait nait
pas lieu.
Voilà pourquoi je voudrais poser ici quelques questions capitales :
Un tel questionnement, un tel constat
sont-ils sacrilèges ?
Sont-ils interdits, ou soumis à
restrictions, parce quils empièteraient le territoire
inviolable de je ne sais quel pouvoir, précisément ?
Autrement dit, est-on voué, dès lors
quon saventure dans une approche trop concrète
du rapport de domination, à affronter ipso facto son
absolutisme là même où on le soupçonnait
le moins?
Il semble quon veuille nous imposer de répondre par
laffirmative, et je ne comprends pas autrement la première
réponse faite par
Hocine Zehouane à El Hadi Chalabi : « Tu
verses dans le délire (
) tu dois entrer en consultation ».
Une sanction puisée dans larsenal disciplinaire !
Quant à la seconde réponse, intitulée « Réponse
ouverte à El Hadi Chalabi, intellectuel devenu caractériel
et circonstanciellement (sic) en délire »,
diffusée largement auprès de « connaissances
communes »2,
elle donnait le signal, à travers des attaques dune trivialité
stupéfiante, à un lynchage en règle orchestré,
à coups de courriers électroniques, par le président
de la LADDH et son entourage.
On peut regretter que, suite à des attaques dune telle
violence passionnelle, El Hadi Chalabi ait cédé au ton
polémique dans sa réponse3,
mais son questionnement demeure et la problématique quil
a abordée, le constat quil a fait, lanalyse quil
a publiquement proposée nont fait lobjet
à ce jour daucune réfutation publique.
Serait-ce que le pouvoir ait élargi son contrôle bien
au-delà des domaines dont on lui reconnaît si volontiers
lapanage ?
Ou encore quil existe des unions sacrées assez puissantes
pour dissuader toute critique profane ?
Et puisque nous nen sommes pas à une interrogation près,
je voudrais renouveler lune des questions centrales que El Hadi
Chalabi a versées au débat : Quelles
priorités faut-il assigner à la revendication des droits
de lhomme en Algérie ?
La réponse ne peut être fournie quà partir
de points de référence précis. En voici un qui
illustre les épisodes douloureux de la dernière décennie :
Sauvagement torturé pendant plusieurs mois, Hocine Abderrahim
avait écrit à son avocat avant dêtre condamné
à mort et exécuté en 1993, suite au procès
de lattentat de laéroport dAlger :
« Je dépose plainte contre tous les journaux
qui nous ont présentés à lopinion publique
comme des criminels avant même le procès et je dépose
plainte contre les médecins qui ont accepté de me
soigner alors que javais les mains enchaînées ».
Le malheureux navait pas eu besoin de lectures savantes pour
comprendre la réalité de la domination hégémonique,
avec limplication des élites quelle suppose nécessairement.
Et comme il connaissait, hélas, trop bien la justice algérienne
pour avoir songé un instant à lui destiner sa supplique,
je veux croire que cest à nous (et jentends par
là nous tous) quil demandait dinstruire
cette plainte, par les moyens requis impérativement à
cette fin : le discernement et la libre critique.
Or, le discernement impose que nous accueillions avec une légitime
suspicion ce curieux cuménisme des droits de lhomme
que la normalisation en cours est en train dinstituer :
la presse, les magistrats même, ainsi que différentes
catégories de cette élite seraient aujourdhui
les victimes qui devraient requérir tous nos soins. Quant à
la libre critique, elle devient soudain un exercice complexe :
ce sont les défenseurs attitrés des droits de lhomme
qui veulent nous réduire au silence parce que nous rejetons
une telle mystification.
Disons-le donc tout net : la conception des droits de lhomme
à laquelle nous continuerons à nous tenir est celle
qui garde en mémoire limploration de Hocine Abderrahim,
celle qui considère quil ny aura jamais aucune
commune mesure entre le supplice qui lui a été infligé
et la pénitence imposée à Mohamed Benchicou.
1
Publiée
ici sous le titre « Le chant des
sirènes, la LADDH à lépreuve de la normalisation
».
2
Je lai personnellement
reçue du président de la LADDH, mais pas le principal
intéressé, EH Chalabi.
3
Intitulée
« Quand Hocine Zehouane
regagne le bercail ».