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01/09/06

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- LADDH : LE FOND DU PROBLEME -


par Khaled SATOUR


Tout est parti de la lettre adressée par El Hadi Chalabi au président de la LADDH, Hocine Zehouane1, dans laquelle il livrait, sans complaisance, ses observations sur les conditions qui ont présidé à la tenue du congrès de la ligue en septembre 2005 et sur l’action et les déclarations de son président depuis lors.

Y étaient analysées les informations relatives à la prise en main autoritaire de la présidence du congrès, mais aussi la préférence accordée par la ligue aux cérémonies et à l’apparat au détriment de la mobilisation contre l’oubli des violations massives des droits de l’homme, et le rapprochement avec les milieux (auto-) qualifiés de « démocrates » et leurs appareils. Y étaient également soulevés des questionnements cruciaux qui, par delà le présent et l’avenir de la ligue, concernent les formes d’allégeance au pouvoir algérien, qui a perfectionné ses dispositifs de contrôle total de la société, pourvoyant à toutes les fonctions constitutives de l’espace d’expression, y compris à celles qui font office d’ « opposition ». Ainsi El Hadi Chalabi écrivait-il : « Dans les moments de vérité, on voit clairement que cette prétendue opposition n’a de force, perspective ou sens politique que dans le prolongement des appels aux protecteurs disséminés à travers l’état-major et les régions militaires. (…) Les mises en scène dans ce qui se construit comme opposition pour mieux fixer, plus ou moins faussement, la bataille en direction d’un pouvoir nommé, ont été suffisamment nombreuses et astucieuses (…) pour ne pas se donner un autre rôle ». Et d’ajouter à l’intention de H. Zehouane : « La LADDH aurait gagné, avec toi, à mieux définir un tel rôle, dans un positionnement en dehors des lectures médiatiques ».

Quelle que soit l’analyse personnelle que chacun peut en faire, c’est un problème qui nous intéresse au plus haut point, celui du pouvoir et de la résistance au pouvoir, qui était abordé. On peut certes le poser théoriquement de diverses manières : Superstructures politiques dans un tout structuré enfermant les hommes dans son déterminisme, hégémonie au sens de Gramsci, c'est-à-dire relation fondée sur le consentement autant que sur la force ou encore domination appuyée sur l’idéologie. Les variantes ne manquent pas. On peut ensuite y adjoindre la problématique volontariste de la responsabilité individuelle et de l’opportunité de la mettre en cause. Mais la question du rapport au pouvoir était d’abord posée à un niveau pratique : où en est la LADDH par rapport au pouvoir en Algérie aujourd’hui ? Le questionnement de Chalabi le conduisait à une réponse, tirée d’un constat documenté, suggérant que la ligue rejoignait les acteurs attraits dans le champ de contrôle du pouvoir. Je comprenais par là, pour ma part, qu’elle cédait au pouvoir au sens concret que lui donne Michel Foucault : « Un mode d’action qui n’agit pas directement et immédiatement sur les autres, mais qui agit sur leur action propre. Une action sur l’action, sur des actions éventuelles ou actuelles, futures et présentes ». Et comme El Hadi Chalabi a dénombré les actions du président de la LADDH qui révélaient une telle emprise, sa contribution appelait à la discussion, peut-être même à la vive controverse à tout prendre préférable aux silences pesants des consensus, sûrement pas au dénigrement vindicatif.

Mais le texte était à peine publié que tout fut entrepris pour que le débat qu’il sollicitait n’ait pas lieu.

Voilà pourquoi je voudrais poser ici quelques questions capitales : Un tel questionnement, un tel constat sont-ils sacrilèges ?
Sont-ils interdits, ou soumis à restrictions, parce qu’ils empièteraient le territoire inviolable de je ne sais quel pouvoir, précisément ? Autrement dit, est-on voué, dès lors qu’on s’aventure dans une approche trop concrète du rapport de domination, à affronter ipso facto son absolutisme là même où on le soupçonnait le moins?

Il semble qu’on veuille nous imposer de répondre par l’affirmative, et je ne comprends pas autrement la première réponse faite par Hocine Zehouane à El Hadi Chalabi : « Tu verses dans le délire (…) tu dois entrer en consultation ». Une sanction puisée dans l’arsenal disciplinaire ! Quant à la seconde réponse, intitulée « Réponse ouverte à El Hadi Chalabi, intellectuel devenu caractériel et circonstanciellement (sic) en délire », diffusée largement auprès de « connaissances communes »2, elle donnait le signal, à travers des attaques d’une trivialité stupéfiante, à un lynchage en règle orchestré, à coups de courriers électroniques, par le président de la LADDH et son entourage.

On peut regretter que, suite à des attaques d’une telle violence passionnelle, El Hadi Chalabi ait cédé au ton polémique dans sa réponse3, mais son questionnement demeure et la problématique qu’il a abordée, le constat qu’il a fait, l’analyse qu’il a publiquement proposée n’ont fait l’objet à ce jour d’aucune réfutation publique.
Serait-ce que le pouvoir ait élargi son contrôle bien au-delà des domaines dont on lui reconnaît si volontiers l’apanage ?
Ou encore qu’il existe des unions sacrées assez puissantes pour dissuader toute critique profane ?

Et puisque nous n’en sommes pas à une interrogation près, je voudrais renouveler l’une des questions centrales que El Hadi Chalabi a versées au débat : Quelles priorités faut-il assigner à la revendication des droits de l’homme en Algérie ?

La réponse ne peut être fournie qu’à partir de points de référence précis. En voici un qui illustre les épisodes douloureux de la dernière décennie : Sauvagement torturé pendant plusieurs mois, Hocine Abderrahim avait écrit à son avocat avant d’être condamné à mort et exécuté en 1993, suite au procès de l’attentat de l’aéroport d’Alger :
« Je dépose plainte contre tous les journaux qui nous ont présentés à l’opinion publique comme des criminels avant même le procès et je dépose plainte contre les médecins qui ont accepté de me soigner alors que j’avais les mains enchaînées ».
Le malheureux n’avait pas eu besoin de lectures savantes pour comprendre la réalité de la domination hégémonique, avec l’implication des élites qu’elle suppose nécessairement. Et comme il connaissait, hélas, trop bien la justice algérienne pour avoir songé un instant à lui destiner sa supplique, je veux croire que c’est à nous (et j’entends par là nous tous) qu’il demandait d’instruire cette plainte, par les moyens requis impérativement à cette fin : le discernement et la libre critique.
Or, le discernement impose que nous accueillions avec une légitime suspicion ce curieux œcuménisme des droits de l’homme que la normalisation en cours est en train d’instituer : la presse, les magistrats même, ainsi que différentes catégories de cette élite seraient aujourd’hui les victimes qui devraient requérir tous nos soins. Quant à la libre critique, elle devient soudain un exercice complexe : ce sont les défenseurs attitrés des droits de l’homme qui veulent nous réduire au silence parce que nous rejetons une telle mystification.

Disons-le donc tout net : la conception des droits de l’homme à laquelle nous continuerons à nous tenir est celle qui garde en mémoire l’imploration de Hocine Abderrahim, celle qui considère qu’il n’y aura jamais aucune commune mesure entre le supplice qui lui a été infligé et la pénitence imposée à Mohamed Benchicou.


1 Publiée ici sous le titre « Le chant des sirènes, la LADDH à l’épreuve de la normalisation ».

2 Je l’ai personnellement reçue du président de la LADDH, mais pas le principal intéressé, EH Chalabi.

3 Intitulée « Quand Hocine Zehouane regagne le bercail ».

le 1er septembre 2006
Khaled SATOUR


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LE CHANT DES SIRENES - la LADDH à l'épreuve de la normalisation

Quand Hocine ZEHOUANE regagne le bercail

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