El-Hadi Chalabi
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Habitant Ghardaïa où
il est né, Mohamed Baba-Nadjar avait vingt quatre ans au mois
doctobre 2005 quand a eu lieu lagression et lassassinat
dun militant connu de la section locale du croissant rouge et
ancien militant du FFS, Brahim Bazine.
Injustement accusé et condamné à mort le 6 juin
2006, Mohamed Baba-Nadjar est incarcéré à la
maison darrêt de Ghardaïa sans quaucune charge
de culpabilité ne soit constituée, sans quaucune
preuve nait été apportée contre lui, dans
une affaire qui relève de la machination. Le jugement, frappé
dappel, est en instance devant la Cour suprême.
I LES
FAITS
Le jeudi 20 octobre 2005, correspondant au 17ème
jour du mois de ramadhan, aux alentours de vingt heures, soit une
heure environ après la rupture du jeûne, Brahim Bazine
est aspergé dessence et brûlé vif sur le
chemin qui devait le conduire à la mosquée.
Sur son lit dhôpital, la victime, avant de succomber à
ses brûlures, deux jours après lagression, affirme
avoir été attaqué par « deux
individus portant cagoule, vêtus de noir et qui se sont enfuis
sur deux mobylettes ».
Au lendemain du décès de Brahim Bazine, soit le 23 octobre,
la police se présente au magasin de Bachir Baba-Nadjar, le
père de Mohamed, pour demander à voir ce dernier.
Absent de Ghardaïa, Mohamed est en fait sur les lieux de son
travail, dans une ferme de Zelfana, à soixante kilomètres
de Ghardaïa.
La police remet une convocation au père de Mohamed,
pour ce dernier. Mais dès le lendemain, 24 octobre, des policiers,
munis dun mandat de perquisition, se présentent au domicile
du père. Alarmé, ce dernier prend conseil auprès
dun avocat, au lendemain de la perquisition. Sur la foi des
propos rassurants de lavocat consulté, Bachir Baba-Nadjar
demande à son fils de répondre à la convocation
de la police. Cest ainsi que Mohamed Baba-Nadjar se présente,
le 27 octobre 2005, au commissariat central de Ghardaïa.
Accusé dassassinat, gardé à vue quatre-vingt
seize heures, durant lesquelles il est soumis à interrogatoire
permanent, Mohamed ne cesse daffirmer son innocence, dit être
totalement étranger au crime et à la victime quil
ne connaît même pas.
Présenté au procureur à lissue
de la garde à vue, Mohamed sera inculpé et écroué
à la maison darrêt de Ghardaïa. Il est pratiquement
mis au secret pendant dix jours, puisquil lui sera interdit
davoir le moindre contact avec son avocat ou avec les membres
de sa famille.
Mohamed est jugé le 6 juin 2006 par le tribunal criminel de
Ghardaïa qui, à vingt heures, donne lecture de la condamnation
à la peine de mort.
Les manifestations dindignation seront impitoyablement réprimées,
avec, en prime, pour le père et loncle du condamné,
une garde à vue jusquà deux heures du matin.
Comment évaluer la succession dactes qui aboutissent
à élever larbitraire au rang, même nominal,
de justice ? Aucun indice ne permet dattribuer lassassinat
de Brahim Bazine à Mohamed Baba-Nadjar. Cest ce qui ressort,
successivement, de lenquête, de linstruction et
du jugement.
II LENQUÊTE
A charge, lenquête retient les deux séries
de faits suivants:
En premier lieu, les déclarations, particulièrement
confuses, de deux garçons respectivement âgés
de quatorze et quinze ans : Zakaria Dadi Ouaissa et Brahim Tebbakh.
Chacun des deux affirmant que lautre lui a dit « avoir
vu Mohamed Baba-Nadjar deux jours avant lagression à
proximité de la mosquée ». Lun
des fils de la victime, Kacem, se saisit de ces affirmations fantaisistes,
et les répercute auprès des enquêteurs qui, à
leur tour, les retiennent comme indice quant à la préparation
du crime.
En second lieu, les objets saisis et mis sous scellés lors
de la perquisition au domicile familial. Ici, il faut distinguer deux
catégories dobjets que la police retient comme un tout :
Tout dabord, un bidon dessence trouvé sous un lavabo,
dans la cour. Les enquêteurs utilisent lexpression « caché
sous le lavabo ». Compte tenu de la nature du liquide,
nécessairement mis en rapport avec le mode dagression
(victime brûlée vive), le terme « caché »
laisse entendre la découverte de larme du crime. Lassociation
« arme du crime »-« lieu de sa découverte »
donne le nom du criminel.
Ensuite, les enquêteurs mettent sous scellés un brassard
qui, au nom de la fédération FFS de Ghardaïa, demande
la libération de Khoudir Babaz. Ce dernier est un militant
du FFS emprisonné lors des émeutes de Ghardaïa,
en 2004. Rappelons que ces émeutes ont pour origine la bestialité
avec laquelle les services de sécurité ont réprimé
une simple manifestation de protestation elle-même provoquée
par les agissements des services administratifs de la wilaya (préfecture)1.
Outre le brassard, est mise également sous scellés la
revue éditée par la fédération du FFS
de Ghardaïa, NIR OUAGHLEN (Lumière de Ghardaïa).
Aux yeux de la police, les deux objets mis sous scellés, à
savoir le brassard et la revue sont un signe dappartenance au
FFS et, comme tels, de nature à constituer des preuves de culpabilité
pesant sur Mohamed Baba-Nadjar. En même temps que le montage
grotesque conduisant à charger Mohamed, il faut retenir la
criminalisation dun parti politique.
A décharge, les enquêteurs sabstiennent de retenir
les déclarations de Mohamed, celles de son père, de
son oncle ou dautres membres de la famille qui, tous, affirment
se trouver, à lheure du crime, à lautre
bout de la ville où a lieu la rupture du jeûne, en famille,
chez loncle Baba-Nadjar.
Mohamed déclare ne pas posséder de mobylette, élément
qui nest pas retenu par les enquêteurs. Rien nétablit,
non plus, quil en ait emprunté une.
De la même manière, il ne sera pas tenu compte de labsence
de lien entre la victime et Mohamed. Par conséquent, le défaut
de mobile manifeste nest pas de nature, pour la police, à
figurer dans le dossier.
III LINSTRUCTION
Mohamed Baba-Nadjar na pas varié dans ses
déclarations quelque soit la phase de linstruction.
A charge, linstruction retient le témoignage du fils
de la victime, Kacem, suite aux allégations avancées
par les deux garçons affirmant avoir reconnu Mohamed devant
la mosquée. Cette prétention comporte au moins deux
versions : celle où il est question de « la
veille du crime » ; celle où les témoins
disent avoir vu Mohamed devant la mosquée « plusieurs
jours avant le crime ».
Selon le rapport du juge dinstruction, Mohamed est présenté
comme quelquun en fuite, se cachant durant les jours ayant suivi
lagression.
Le bidon dessence trouvé dans la maison paternelle est
consacré, par linstruction, comme une charge, à
partir de lutilisation du terme « caché »
retenu dans le rapport denquête.
Enfin, le brassard revendiquant la libération dun militant
du FFS emprisonné, en 2004, ainsi que la revue NIR OUAGHLAN
saisis au domicile de Mohamed sont considérés comme
des moyens à charge.
A décharge, linstruction ne retient ni labsence
daveu, ni la fragilité des témoignages quand il
sagit de la présence ou non de Mohamed le jour du crime
et à lheure suivant ou précédant ce dernier,
ni lalibi produit et confirmé par plusieurs membres de
la famille. Le magistrat instructeur ne fera procéder à
aucune investigation pour confirmer la présence de Mohamed
à lautre bout de la ville. Ce qui rend sa participation
au crime tout simplement impossible.
Par ailleurs, linstruction occulte le témoignage du patron
auprès de qui Mohamed exécutait des travaux, à
Zelfana, à soixante km de Ghardaïa, et le fait quil
se soit présenté volontairement au commissariat de police.
Ne sont pas comptabilisés, non plus, à décharge,
la propriété ou la possession, par emprunt, dune
mobylette.
Enfin, le contenu du bidon dessence saisi au domicile de Mohamed
a fait lobjet dune expertise contradictoire, dans la mesure
où les composantes du liquide ont été comparées
à celles de lessence qui a servi à lassassinat
de Brahim Bazine. Lanalyse comparée des deux produits
a été faite par les laboratoires de la direction générale
de la sûreté nationale (DGSN) et versée au dossier.
En définitive, il ne reste que les deux signes dappartenance
au FFS (le brassard et la revue), seuls indices fournissant à
linstruction les fondements dune culpabilité qui
senracine dans une volonté des services de sécurité
de mettre fin à léclosion dun engagement
politique tout à fait indésirable dans la région.
La chambre daccusation reconduira la liaison faite à
léchelon inférieur, entre le crime, lauteur
présumé à qui est imputé ce dernier et
lappartenance au FFS.
IV LE PROCÈS
Le procès confirme en tous points la voie suivie
par lenquête de police et confortée par le magistrat
instructeur. Au demeurant, sommes-nous réellement en mesure
de parler de procès ? Le déroulement de lopération
judiciaire, à ce stade de la justice, tel quelle a eu
lieu, lui ôte son sens de procès. En effet, tout ce qui
caractérise ce dernier, en particulier la dimension, lampleur
de la confrontation contradictoire à laquelle le juge doit
veiller, en lespèce, sont absentes.
En premier lieu, les témoins à charge, élément
clé de laccusation ne sont pas convoqués et ne
sont, par conséquent, pas présents à laudience
pour affronter les questions de la défense.
En deuxième lieu, le témoin à décharge,
cest-à-dire loncle de Mohamed, nest invité
à sexprimer sur la présence de son neveu chez
lui, à lheure du crime, quen toute dernière
minute et sur une forte insistance des avocats. Parallèlement,
dailleurs, le président du tribunal criminel na
jamais posé la question à Mohamed Baba-Nadjar sur le
lieu où il se trouvait à lheure du crime. De la
sorte, laccusé nest pas mis en situation de pouvoir
déclarer, publiquement, en quoi et comment son alibi est authentique.
En troisième lieu, toute référence aux « deux
individus portant cagoule, vêtus de noir et qui se sont enfuis
sur deux mobylettes » (selon les propos ultimes
de la victime) est totalement ignorée.
En quatrième lieu, le tribunal criminel, en audience publique,
nentendra pas la communication, à haute et intelligible
voix, du rapport contradictoire dexpertise établi par
les ingénieurs des laboratoires de la DGSN. Or, ce rapport
fait ressortir labsence de concordance entre lessence
saisie au domicile de Mohamed et celle qui a servi à asperger
et à brûler Brahim Bazine.
Le tribunal, par la voix de son président, entérine,
sans les verser aux « débats », les motifs
politiques qui sont retenus par linstruction et par laccusation
comme charges suffisantes de nature à déclarer coupable
dassassinat Mohamed Baba-Nadjar, qui est condamné à
mort.
QUE CONCLURE ?
Laspect politique, les motivations politiques, sans
être explicitement brandis au procès, constituent le
fond de cette affaire criminelle. Si lon prend en considération
la personnalité de la victime et quon la rapporte aux
éléments matériels, de nature politique, retenus
aux différentes phases de la procédure, le processus
conduit tout droit au règlement de comptes à lintérieur
de lorganisation du FFS : un jeune sympathisant (ou militant)
aurait été chargé déliminer un ancien
membre du parti, forcément regardé comme un renégat.
Les suggestions, le non dit, qui occupent pourtant la scène
judiciaire sont aveuglants. En effet, la victime, Brahim Bazine, est
un ancien militant du FFS, quil quitte juste avant les élections
municipales de 2002. La fédération FFS de Ghardaïa
est née en 1999, cest-à-dire lannée
du premier mandat présidentiel de A. Bouteflika.
Au lendemain des manifestations de 2004-2005, à défaut
de pouvoir mettre fin aux activités politiques de la fédération
du Mzab par différents procédés de harcèlement
policier et judiciaire, les autorités politiques ont-elles
voulu tramer un complot de nature à impliquer les responsables
fédéraux du FFS ? Cest ce qui ressort dune
communication que Mohamed Baba-Nadjar a fait parvenir de sa prison,
avant le procès. Il y est question de chantage dans lequel
sa tête est mise à prix : celui de la dénonciation
des militants tenus pour responsables des troubles depuis 2004.
Le fil à partir duquel se révèle la trame policière
couronnant lappareil de justice dans ses différentes
instances nest rien dautre que le fil du rasoir qui menace
la vie dun homme, un parmi nous tous. Son seul véritable
crime serait une sympathie plus ou moins marquée, pour un parti
politique, qui, comme le veut le jargon politico -administratif et
policier, est un « parti agréé ».
Peut-être que tout commence ici. Cet « agrément »
concocté puis distribué par un régime qui tente
de se refaire une réputation à labri dune
constitution2
(1989) vouée à masquer les violences à venir,
nest que linstrument de soumission dans lequel les partis
sont appelés à se couler sous une forme ou une autre.
Les événements de Ghardaïa, en 2004-2005 puis la
condamnation à mort dun sympathisant du FFS (et quand
bien même serait-il un militant) précédée
par la répression qui a frappé lencadrement de
la fédération du Mzab remet au grand jour un fait
jamais démenti : à savoir que lagrément
devient à tout moment, selon un cheminement interne propre
au secret de ladministration et de ses hiérarchies, un
désagrément. A lun des dirigeants
de la fédération FFS de Ghardaïa, le procureur
général près cette cour na-t-il pas lancé
«Mais que viennent faire les kabyles au Mzab » ?
Autrement dit, le FFS na pour vocation que dêtre
un parti territorialement et, en définitive, politiquement,
inscrit dans des contours extrêmement limités.
Lhomme, enfermé depuis le 27 octobre 2005, est voué
à apprivoiser la mort à laquelle il a été
condamné. Larbitraire qui frappe Mohamed Baba-Nadjar,
en saffichant dans les références et lapparat
de justice, se double et se prolonge dun silence que toute algérienne,
tout algérien, toute femme, tout homme au-delà de tout
préjugé de quelque ordre que ce soit, partout, se doivent,
dabord, de dénoncer publiquement.
AUSSI, il appartient à toutes les organisations de défense
des droits de lhomme, à toutes les associations et partis
politiques, à tous ceux pour qui la liberté et la justice
ne sont pas de simples clauses de style,
DAPPELER à ce que Mohamed Baba-Nadjar soit rétabli
au plus vite et pleinement dans tous ses droits.
DEN APPELER à la Cour suprême (Alger) afin
:
Quelle tranche au plus vite le pourvoi qui lui est soumis,
Quelle ordonne la tenue dun nouveau et véritable
procès au sens où lentendent les règles
consignées par les conventions internationales et ratifiées
par lEtat algérien.
DE DEMANDER aux autorités algériennes et au plus haut
niveau de celles-ci, que soient :
recherchés, arrêtés et jugés les assassins
de Brahim Bazine, en mettant à nu les mobiles réels
du crime.
Peu importe les formes choisies : comité de soutien, pétitions
Lessentiel cest de se manifester pour sauver la vie de
Mohamed Baba-Nadjar.
Documents à lappui :
* Jugement du tribunal criminel de Ghardaïa du 6 juin 2006 /doc.
Réf 11/6 ./73/06.
* Rapport dexpertise chimique relative à lanalyse
de deux prélèvements de carburant type essence (DGSN),
expertise à la demande du juge dinstruction, n° 105/05
en date du 14/11/2005.
* Lettre de Bachir Baba-Nadjar suivie dune liste de signatures
demandant la mise en liberté de son fils, Mohamed Baba-Nadjar
au ministre de la Justice, le 24/5/2006 (le ministre accuse réception
le 9/7/006).
* Lettre de Bachir Baba-Nadjar à M. Le Président de
la République, le 13/8/2006 (la réponse en date du 31/10/2006,
conseille dépuiser les voies de recours judiciaire).
* Lettre de Bachir Baba-Nadjar à la ligue algérienne
de défense des droits de lhomme, le 7/6/2006, le lendemain
du jugement (lettre demeurée sans réponse).
* Document du FFS sur laffaire dans son ensemble. Document non
daté mais qui, daprès les responsables de la fédération
de Ghardaïa remonterait au 20-25 juillet 2006.
Ont été
saisis par nos soins, le 27 mars 2007 :
Amnesty International
Fédération Internationale des Ligues des Droits de lHomme
Human Rights Watch
Reporters Sans Frontières
le
27 mars 2007
El-Hadi CHALABI
NOTES
1
Pour ceux qui connaissent
les wilayas du sud algérien, il est notoire que les populations
locales en particulier celles qui, comme les mozabites sont connues
pour leur dynamisme commercial, font lobjet de racket au grand
jour. Cet état de fait est trivialement restitué, par
référence au numéro minéralogique de la
wilaya, quarante-sept = el-makla wa ouskat (la bouffe et le silence).
2
Nous renvoyons,
sur ce site, à notre étude La
constitution, instrument de violence,
in
Linstance, Revue
critique de droit algérien.