L'INSTANCE
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Revue critique de droit algérien

Notre méthode : partir de la réalité sociale et du défi que celle-ci lance aux concepts et non pas développer des exercices conceptuels qui ne rendent compte ni de l'état de la société, ni du droit que l'on dit lui appliquer.

PRESENTATION

S'il est conforme à la tradition de justifier la création, la naissance d'une revue, la nécessité d'une publication de droit algérien est du domaine de l'évidence.

On ne saurait malheureusement s'exclamer, comme dans un paysage éditorial déjà surchargé, "Pourquoi une revue de droit?" ou bien "Encore une revue de droit!"

 Point n’est besoin de passer par les subterfuges de forme pour souligner l'intérêt d'une telle revue et de la place qu'elle entend tenir grâce au champ qu'elle se donne. L'objet de la revue, annoncé dans le titre, suffit à rappeler qu'il n'est pas couvert par d'autres publications.  

I - Deux éléments justifient la création d'une revue de droit -

  Il s'agit, dans l’ensemble, d'éléments communs à toute revue :

* Le questionnement : comment se présente l'objet de la réflexion et quel apport une nouvelle publication est-elle susceptible d'engendrer ?

* La matière qui alimente la réflexion elle-même : l'aspect documentaire.

Un tel aspect peut paraître secondaire dans un environnement universitaire, social, qui a, depuis longtemps, résolu l'accès au document. Dans une telle hypothèse, l’accès au document ne suscite pas, en soi, d’interrogations particulières.

Les documents dont se nourrit la réflexion juridique sont, essentiellement, au nombre de deux :

D'une part, il s'agit des textes officiels, constitutionnels, législatifs et réglementaires.

D'autre part, ce qui découle de l'activité des juridictions et que l'on désignera ici, par une expression générique "décisions de justice", car dans l'état actuel du droit algérien, nous ne sommes pas fondés à parler de jurisprudence.

Il peut sembler exorbitant de souligner d'emblée à ce point l'indigence qui entoure la source d'alimentation de la réflexion juridique. Pourtant, un tour d'horizon des supports censés fournir la matière documentaire permet de cerner à la fois le nombre limité et le caractère irrégulier des publications. Ce qui explique leur contenu étriqué.  

- A - LES TEXTES OFFICIELS -

Le support incontournable ne peut être ici que le J.O. En principe, il contient ou devrait contenir tout ce qui se rapporte à l'activité législative et réglementaire, tout au moins dans son expression construite, achevée, en textes de lois ou de règlements.

Or, le J.O lui-même, comme source d'information juridique fondamentale supposée, est réduit à une routine d'enregistrement de textes et, qui plus est, une routine déficiente. Etant l'expression officielle du gouvernement, au nom de l'Etat, il a fini par nous restituer les traits pathologiques qui caractérisent les pratiques de l'organisation gouvernementale, étatique, et son fonctionnement. Il est le reflet de l'organisation et du fonctionnement du secrétariat général du gouvernement.

Sur le plan matériel, il est largement incomplet dans la mesure où les arrêtés ministériels, source de droits et d'obligations pour tous, en principe, ne sont que très rarement publiés.

Selon les opportunités et les intérêts de la vie locale, les arrêtés des walis et des présidents des assemblées populaires communales (APC) peuvent trouver écho dans la presse quotidienne. Au même titre que la publicité des marchés publics ou privés. On imagine, de la sorte, le vide dans le balisage juridique de la vie locale. Or, c’est à partir de la commune et de la wilaya que l’on peut évaluer les bouleversements du paysage foncier, des procédés utilisés dans l’attribution des marchés et rechercher en quoi consiste l’aménagement du territoire.

En dehors des arrêtés, ni les circulaires, ni les instructions ne trouvent place dans le J.O.

Régi par les conditions propres qui entourent le monde du droit, comme objet de connaissance, le J.O. est rarement une source de travail et de référence, notamment à l'échelle des universités. La même remarque peut être faite à partir de constatations empiriques, dans la magistrature et le barreau. Le J.O. est une référence accessoire, opportune, mais ne tient pas le rôle de véhicule qu'il devrait avoir en matière de culture juridique. Cela tient sans doute au fait que, dans ces professions du droit les spécialistes savent que, à l’instar du monde de l’économie, ce qui reste déterminant dans l’approche et le traitement des affaires sont les voies parallèles.

Corrélativement, on comprend pourquoi des textes d'importance primordiale, quelqu'en soit la nature, (constitutionnelle, législative, réglementaire) ou leur objet (famille, patrimoine, assurances, justice, police...) ne sont ni relevés, ni traités à la mesure de la curiosité qu'ils méritent.

Accessoirement, certains textes sont tirés de la clandestinité qui entoure le J.O pour être insérés dans des publications universitaires. C'est le cas pour l'Annuaire de l’Afrique du Nord qui, dans sa chronologie, signale les références de dates en précisant la nature des textes. Il comporte une chronique juridique à côté des chroniques économique et politique. C'est le cas, également, pour la Revue algérienne des sciences juridiques, politiques et économiques (R.A). Ici, il n'y a pas de place, même minime, pour une chronique juridique. On se contente de signaler uniquement, de manière épisodique quelques références de lois ou règlements. L'esprit dans lequel la R.A. a été conçue, avec les rubriques classiques "Doctrine-Législation-Jurisprudence" correspondait à une vitrine avec ses supports matériels et intellectuels. De sorte que si la revue a fonctionné avec un encadrement en phase avec ses objectifs, ce n'est plus le cas depuis au moins le milieu des années quatre vingt. Dans son domaine, la R.A. reflète l'échec de la réflexion entourant la science juridique. C'est dire que cet échec est également celui de l'université et des instituts de droit. Ajoutons que la R.A. n'a été une revue de droit qu'en partie seulement, étant donné son caractère hétérogène que reproduit son titre. Enfin, il ne faut pas oublier de rappeler que la R.A. est née sous les auspices officiels de la présidence de la République et du ministère de la justice. Ce qui, en dehors du poids général de la censure officielle, l'a conduite à se réfugier dans le conventionnalisme. L'académisme des dix premières années s'est traduit par la suite en un enfermement sans rapport avec la société et l'université. La R.A. sera, de la sorte, incapable d'appréhender dans ses diverses expressions le phénomène d'arabisation, tenu par des juristes de renom comme fléau et les "arabisants" assimilés à une horde inculte.

Au titre des revues officielles, il faut mentionner la toute récente revue, semestrielle, du Conseil d’Etat dont le numéro un date de 2002.

A côté de la R.A. et de la revue du Conseil d’Etat, règne ou cherche à régner la revue de l'Ecole nationale d'administration, IDARA, produite par le Centre de Documentation et de Recherche administrative. Attrayante par son aspect, sa forme et sa régularité, (deux numéros par an), elle reste, évidemment, attachée aux buts que lui assigne l'administration et ses préoccupations. Servie par un encadrement lui-même formé à la fin des années soixante puis au cours des années soixante-dix, elle reproduit d'une certaine manière ce qu'a été la R.A. jusqu'à la fin des années quatre vingt. Elle se veut l'héritière d'un académisme de bon ton ayant pour souci une analyse de textes. Mais ces derniers ne sont jamais en rapport avec les innombrables questions que pose leur rencontre avec la société. D'où les questions de l'applicabilité des textes ne relèvent pas des préoccupations des rédacteurs. Lorsqu'on prend, à titre d'exemple, le droit de la fonction publique et qu'on relève les titres, on ne peut s'empêcher de se demander de quel droit, au juste, l'auteur veut traiter. En fait, dans IDARA, la réflexion est un retour à soi : de l’administration à l’administration. Ceci est démontré par le degré d'intérêt, plus que limité, que lui portent les universitaires. Au point où les numéros de la revue, même distribués gratuitement, ne trouvent pas preneur.  

- B - LA JURISPRUDENCE -

Le terme est, assurément, impropre. A cela, il y a deux raisons :

* La première réside dans l'absence d'informations entre juridictions. Dans leurs décisions, celles-ci manifestent une extériorité les unes par rapport aux autres, traduisant une véritable étanchéité.

* La seconde, conséquence de la première, interdit à la Cour suprême de jouer le rôle que l'on tente de définir officiellement comme un rôle de régulation.

Chacun juge donc à sa guise. L'absence de publication systématique des décisions de justice empêche la confrontation, au titre de la comparaison et de la réflexion, des différentes décisions. Les éléments qui pourraient constituer progressivement l'oeuvre de régulation sont absents. Les rares décisions rendues publiques par le ministère de la justice se trouvent dans des publications connues pour leur irrégularité. Ce type de publication n'obéit à aucune logique et le choix des arrêts ou jugements publiés ne permet pas une construction cohérente, encore moins de dessiner une tendance jurisprudentielle.

Ces constatations doivent aussi être mises en rapport avec le statut réel du magistrat.

On comprendra que s'il n'y a pas de matière alimentant la réflexion, l'activité du magistrat étant tenue hors de portée possible, à différents niveaux, il est difficile de parler de doctrine. D'où l'indigence éditoriale en matière juridique.

 

II - Que faire ? -

  Devant l'ampleur des carences, compte tenu du champ réduit d'un "marché de la connaissance", les objectifs doivent être soigneusement limités. Le but de la R.C.D.A. c'est, avant tout, d'enclencher un mécanisme à partir d'une nécessité constatée et à faire partager : l'accès à l'information et au questionnement juridiques. Il ne peut y avoir de champ juridique sans conscience, de la part de ses différentes composantes, des rapports au droit. Situer les composantes du champ juridique, leur hiérarchie, sert de but à la R.C.D.A. et définit son projet éditorial. Donner de la transparence aux composantes du champ juridique c’est entamer la connaissance d’enjeux soigneusement masqués. Cela ne peut se faire sans support d'information et d'échanges. Dans cet ordre d'idées, si on vise nécessairement les instances juridiques, celles du "savoir" (universités) et du "pouvoir" (autorités diverses, magistrats...) les destinataires du "produit juridique" ne sauraient être ignorés. Bien au contraire. Il est temps de mettre en rapport même avec des moyens infimes les règles et les destinataires de celles-ci.

Il s'agit, dès lors pour la R.C.D.A.de découvrir et faire découvrir l'anatomie du droit algérien.

Dans cette perspective, un numéro par an sera suffisant pour l'immédiat.

On y accordera une place au suivi du J.O. dans une rubrique Echos du J.O. qui se décompose en deux parties: une partie réservée à la chronologie, la seconde à la chronique. Ainsi seront extraits des textes selon l'importance de politique législative ou réglementaire qu'ils représentent pour être situés dans le "temps juridique".

Nous ne pourrons partir des rubriques classiques -Doctrine, Législation, Jurisprudence -. Cela n'est pas concevable dans la mesure où aucune des catégories ne remplit les critères qui en fondent le contenu théorique. L'objectif de la R.C.D.A. réside justement dans un engagement propre à appréhender le contenu réel des catégories en question.

A côté des Echos du J.O., prendront place deux autres parties privilégiant une information pratique du droit :

* « Dans les cours et les tribunaux » permet de reproduire, de résumer et/ou de commenter les décisions qui nous parviennent, dans l'esprit qui est le nôtre, c'est à dire en vue de favoriser la publication systématique, un jour, des décisions de justice.

* « Dans les wilaya et les communes » sera une incursion dans ces espaces territoriaux dont l'univers juridique relève de l’énigme.

* « Regard sur la chari'a » permettra un débat en va-et-vient à l'intérieur de ce qui est réputé relever du domaine du droit positif et ce qui embrasse plus largement la culture. Le renvoi à l’Islam dans les textes comme dans les pratiques quotidiennes étant suffisamment prégnant, on ne saurait évacuer les questions mettant en rapport Islam et droit. L’exemple emblématique demeure ici celui du statut personnel.

Il aurait été nécessaire de concevoir la R.C.D.A. dans les deux versions, arabe et français. Nous ne perdons pas de vue cette question fondamentale même si nous ne sommes pas en mesure, dans l’immédiat, d’y trouver une solution.  

El-Hadi Chalabi et Khaled Satour,

le 18/9/2005.

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